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IL N'A PAS DE HASARD CAR LE HASARD N'EN EST PAS UN (3/3).

  • PLETOURN
  • 29 sept. 2021
  • 6 min de lecture

Trois livres qui vont donner un sens nouveau à ma vie. Avril 2010 ----------------------------------------------------

Extrait du journal rédigé par Annie Prost.


AVRIL 2010

Stendhal, pour une nouvelle expérience de vie enrichissante : le plaisir d’écrire.

Le troisième livre qui va orienter ma vie aujourd’hui est toujours de Stefan Zweig. Il s’intitule Trois poètes de leur vie et retrace trois grandes vies, celles de Stendhal, de Casanova et de Tolstoï.

Je n’ai vraiment pas d’affinité avec Casanova, et comme l’écrit Eugène Delacroix dans son journal à 26 ans: «Les séductions qui dérangent la plupart des hommes ne m’ont jamais beaucoup inquiété et aujourd’hui moins que demain. Ce qu’il y a de plus réel en moi, ce sont les illusions que je crée avec ma peinture. Le reste n’est que sable mouvant. »

Je n’ai pas non plus de proximité avec Tolstoï qui représente pour moi l’ancêtre des bobos soixante-huitards de ma génération. J’ai toujours préféré Dostoïevski, de l’intelligence pure à déguster à chaque mot.

C’est donc bien la biographie de Stendhal qui va, en cette année 2010, m’aider à orienter et donner un sens nouveau à ma vie.


En quoi la lecture de la biographie de Stendhal va-t-elle m’aider ?

Tout d’abord, évoquons le passé. Je suis au lycée des Eaux Claires à Grenoble en seconde. En troisième, j’ai été virée du lycée de Voiron pour indiscipline, et comme le foyer ne savait pas quoi faire de moi, on m’a envoyée dans un lycée à Grenoble absolument superbe, il était neuf, on pouvait prendre des douches tous les jours alors qu’à Voiron c’était tous les 15 jours, comme au foyer (j’y ai été à ce point si heureuse que j’y ai redoublé ma terminale).


En milieu d’année, une adolescente, Anne Leymarie, entre comme interne et est placée à ma droite au réfectoire. Ses parents habitent Genève, c’est visiblement une enfant de milieu aisé, elle ne s’intègre pas vraiment à notre groupe. Elle nous dit passer ses vacances chez Picasso. Toutes mes copines se moquent d’elle et la traitent de menteuse. Moi, je n’ose m’intéresser à cette histoire extraordinaire par effet de groupe. Et, ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’Anne Leymarie était la fille de Jean Leymarie, à l’époque conservateur au musée de Genève et auteur de nombreux livres d’art. Ce qu’elle nous disait était sans doute vrai, et j’ai alors profondément regretté de ne pas avoir approfondi ma relation avec Anne et appris d’elle tout ce qu’elle aurait pu me faire découvrir du milieu artistique dans lequel elle vivait.

Mais revenons à Stendhal. Un jour à table, Anne lisait un roman, Le rouge et le noir. Je lui demande si c’est bien, elle me répond que c’est un des plus grands romans français. Je lui demande de me le prêter, ce qu’elle fait quelques jours plus tard. Je me suis alors passionnée pour la vie de Julien Sorel, j’ai dévoré ce livre dans un état second, incapable d’analyser les émotions qu’il déclenchait chez moi, mais juste de les vivre intensément. J’étais fascinée par un Julien Sorel déterminé à sortir du milieu dans lequel il vivait, fort de son intelligence pour s’engager dans une aventure de vie hors du commun et de son destin de naissance, prêt à toutes les audaces pour faire aboutir sa passion pour madame de Rênal, capable de s’intégrer à tous les milieux par une parfaite analyse des mœurs et usages de chacune des classes sociales qu’il rencontrait sur sa route, sans se laisser abuser par la bêtise de leurs conventions. J’ai pleuré avec madame de Rênal et Mathilde de la Mole sur la tête décapitée de Julien et j’ai rêvé d’une mère comme madame de Rênal.

J’ai compris plus tard que je m’étais imprégnée de deux idées à la lecture du Rouge et le noir. La première, que l’intelligence permettait de franchir toutes les barrières sociales et de faire le choix de sa vie, quelles que soient les cartes sociales reçues au départ; et la deuxième, que les passions pouvaient être dangereuses, qu’elles vous rendaient dépendant de vos émotions et pouvaient mettre en péril le destin que vous pouviez vous imaginer, avec le risque éventuel de vous faire couper la tête...


Stendhal est né à Grenoble, habitait place Grenette et détestait Grenoble, car cette ville était pour lui celle où il avait vécu ses grandes douleurs d’enfance. La mort de sa mère adorée quand il avait 7 ans et dont il était amoureux, et la haine pour son père et sa tante Séraphie qui l’ont martyrisé de 7 à 17 ans, âge auquel il put enfin partir à Paris sous le prétexte d’étudier les mathématiques (qu’il n’a jamais étudiées d’ailleurs).

Quand je dis « martyrisé », c’est bien sûr au sens symbolique ; son père rêvait d’en faire un avocat de province et sa tante Séraphie passait sur lui sa névrose, l’empêchant de vivre toutes les joies enfantines. Les domestiques la traitaient d’ailleurs de folle et Stendhal parlait de sa tante et de son père comme de « ses tyrans ». Heureusement, son grand-père amoureux des lettres lui offrira un modèle de développement plus en accord avec sa personnalité profonde.

L’originalité de la biographie de Stendhal par Stefan Zweig, c’est qu’elle montre que le moteur de la personnalité et de la vie de Stendhal fut son intelligence associée à son hypersensibilité.

Ayant vécu dans un milieu bourgeois et lettré par son grand-père Gagnon médecin, il a pu saisir toutes les opportunités de son éducation, et en raison de la haine qu’il portait à son père, « son tyran», en rejeter toutes les bassesses et ignominies qui heurtaient sa sensibilité. De cette hypersensibilité multi sensorielle, il aura l’amour de la beauté, des arts, de la nature, de la rêverie et de l’écriture.

« L’apogée de l’art, c’est d’inventer des sensations inédites », écrira-t-il plus tard. Il voyagera pour découvrir la beauté des paysages révélée dès son enfance par le cadre grandiose des montagnes à Grenoble. Il allait de Milan à Vienne pour jouir d’un opéra. Il inventa le mot « égotisme » (jouissance raffinée de sa propre personne) pour définir sa façon personnelle de vivre les plaisirs de ses sens exacerbés, sa vie de célibataire sans contrainte et la différencier de ce qui pourrait passer pour de l’égoïsme. Et sur le tard, il écrira deux chefs-d’œuvre de la littérature romantique (à 50 ans en 1830), ainsi que sa vie (la vie de Henry Brulard en 1837) et son journal, juste pour « le plaisir d’écrire » car il pensait que ce ne serait qu’en 1880 que ses écrits seraient appréciés.


À l’exception de Balzac, qui reconnaît tout de suite le talent de Stendhal, les deux romans les plus connus de cet auteur, Le rouge et le noir et La Chartreuse de Parme n’eurent aucun succès au début du XIXe siècle, et ce n’est effectivement qu’en 1880 qu’un professeur de lettres découvrit à la bibliothèque de Grenoble les manuscrits de Stendhal déposés dans une malle par Colomb, l’ami et le cousin de l’auteur. Ce professeur décida alors de les rééditer. C’est donc à l’aube du XXe siècle que les deux romans de Stendhal furent reconnus et devinrent deux grands classiques de la littérature française.

En lisant Zweig, je compris pourquoi Le rouge et le noir avait eu autant d’impact sur moi à l’adolescence, et je réalisai qu’un illustre ancêtre (symbolique) d’origine grenobloise me faisait découvrir une nouvelle route de vie. Si la beauté peut sauver la vie de l’absurdité (ce à quoi je m’étais consacrée depuis l’arrêt de ma vie de stratège en communication chez Havas), les moyens de mon allocation grandes vacances (retraite) et ceux acquis en tant que publicitaire me permettaient d’envisager un avenir où la beauté et la jouissance des arts pourraient tout à fait épanouir mon esprit et réjouir ma sensibilité ; pourquoi, alors, ne pas faire aussi comme Stendhal, « écrire pour le plaisir » ?

N’y avait-il pas là aussi une nouvelle source de satisfactions inédite pour moi ?

Beaucoup d’amis m’ont souvent demandé pourquoi je n’écrivais pas mon histoire. Je leur répondais que je n’en avais pas du tout envie, ne me sentant pas du tout écrivain, et j’étais alors assez réticente à exposer mon histoire au grand public. J’en réservais les événements et détails aux amis sensibles et compréhensifs. N’ayant aucun besoin de reconnaissance sociale, ni d’argent, je ne voyais aucun but à écrire. C’est en fait, en lisant le journal de Stendhal, que je m’en suis trouvé un : « le plaisir d’écrire ». Si la plume (mot désuet à l’heure d’internet) me plaît, à terme, je préfère faire éditer mes écrits à compte d’auteur pour les réserver aux amis les plus chers et les plus sensibles et, éventuellement, les faire éditer à titre posthume en qualité de témoignage sociologique de notre période.


Annie Prost - Avril 2010

 
 
 

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