LUCHINI & HOUELLEBECQ : J'AIME
- Annie Prost
- 18 sept. 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 sept. 2020
Poésie : le spectacle de Fabrice Luchini mars 2017
Cet amoureux de la langue française, et surtout de la diction de cette langue fabuleuse, a fait un one man show (je devrais écrire un spectacle en solitaire...) où il mêle réflexions sur la magie de notre langue, avec des textes tirés des plus grands auteurs (en particulier de Valéry), dictions de ses plus beaux textes (Rimbaud « Le bateau ivre » ou « Le dormeur du val »), et expériences personnelles de sa vie d’apprenti coiffeur et d’acteur rejeté par les instances officielles de la doxa professionnelle. En grand Acteur et en vrai Cabot, il nous fait passer une soirée réjouissante, tant culturelle que pleine d’humour, qui nous fait un bien fou.
J’ai aimé entendre de la voix de ce conteur « Le dormeur du val » que Rimbaud a écrit à 14 ans et qui m’avait bouleversée à l’adolescence. Je pense souvent à ce poème pour deux raisons : un jour - je suis à Paris depuis peu - un soir d’été, je marche sur le trottoir quai de Montebello près de la place Saint-Michel, et le long du petit jardin je vois un jeune homme allongé, et je distingue à peine un trou sur sa tempe. Je ne réalise pas tout de suite qu’il est mort, il n’y a pas de sang. Il semble vraiment endormi et serein, mais un malaise me gagne, et je vais rapidement au café du coin pour prévenir qu’on appelle la police. Le cafetier me répond que c’est fait et ajoute en colère « il aurait pu aller ailleurs, au lieu de venir nous faire ça ici ». Je suis atterrée, bouleversée, et je découvre brutalement dans mes années de jeunesse, la violence de l’indifférence et de l’égoïsme humain.
La deuxième raison : j’habite chemin du Val Marin. Très souvent, en contact avec les jeunes travaillant pour les plateformes téléphoniques, je dois donner mon adresse et je constate qu’ils la comprennent mal. Je leur demande s’ils savent ce que c’est qu’un val et toujours ils me répondent « non ». Je leur demande alors s’ils n’ont pas appris le poème de Rimbaud « Le dormeur du val » et ils me répondent que non. Voilà, cette anecdote résume à elle seule la détérioration de l’enseignement du Français à l’école publique. Fabrice Luchini annonce ce poème en nous disant : « ce poème qui va vous rappeler vos années de lycée ». J’ai eu envie de lui écrire pour lui dire de faire quelque chose pour que ce poème soit de nouveau appris au lycée. Je ne l’ai pas fait. Ma faiblesse : la paresse !
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud.
7 janvier 2015 : sortie du livre de Michel Houellebecq « Soumission »
C’est étrange cette concomitance avec l’attentat de Charlie Hebdo, car si la rédaction de Charlie Hebdo avait, par une dernière « Une » bravé les islamistes, Michel Houellebecq, lui, a imaginé une fiction politique où en 2022, le président élu, face à Marine Le Pen, avec le soutien des socialistes, est le leader du nouveau Parti de la Fraternité Musulmane qui mettra en œuvre une stratégie d’islamisation de la société française et verra les personnages masculins du roman y trouver tout à fait leur compte en particulier grâce à la polygamie. Ce qui est intéressant dans ce livre, que j’ai lu d’un trait, c’est l’intelligence avec laquelle l’écrivain amène naturellement cette situation à partir de la vision actuelle de la société française, et de ce qu’il appelle dans ses interviews, « le suicide européen. » Il raconte comment les valeurs des lumières, de la liberté, et de la République s’éclipsent en faveur d’un retour du religieux et de la montée de l’islam en France liée à l’émigration musulmane.
Ses descriptions sont percutantes, mais surtout, elles apparaissent tout à fait évidentes. C’est là le talent de l’auteur, car l’écriture ne suscite pas la polémique, elle nous emmène dans une histoire que Houellebecq qualifie de probable, naturellement. Le plus intéressant est, pour moi bien sûr, la réaction médiatique de tous les bien-pensants. C’est le déni total du cœur même du message, que chaque lecteur, lui, va retenir, à savoir l’islamisation rampante de la société française par la démission des élites. Houellebecq démontre que la démocratie est en danger, d’un côté par la montée de l’extrême droite, de l’autre par celle de l’islamisation de la société.
Libération parle d’une satire, un autre politologue de gauche y voit un livre écrit sur la collaboration, le troisième une caricature et une écriture nulles, alors que ce texte est une fable intelligente sur la société d’aujourd’hui. La doxa est cernée, entre Le Pen et Houellebecq grande icône de la gauche depuis une trentaine d’années, mais ne veut toujours pas voir une réalité inquiétante.
Cette information pour le lecteur du futur qui aime Michel Houellebecq, et souhaite mieux comprendre la place qu’il a prise ces dernières années dans notre société.
Houellebecq par Houellebecq
DOSSIER - Le « Cahier de l'Herne » qui est consacré à l'écrivain parachève un souci permanent de la construction de son image. Rares sont les écrivains accueillis de leur vivant dans les Cahiers de l'Herne, fondés au début des années 1960 par le regretté Dominique de Roux. Patrick Modiano, Michel Déon, Yves Bonnefoy et quelques autres auront eu ce privilège, sans oublier Mario Vargas Llosa. Au terme d'un quart de siècle de création, Michel Houellebecq vient de les rejoindre. « La vérité est que je ne sais rien, absolument rien, des années de ma petite enfance. » Michel Houellebecq dans « Mourir II ».
« Comment donc approcher cette figure insaisissable ? » s'interroge Agathe Novak-Lechevalier dans son introduction. Elle propose d'une part d'approfondir l'œuvre, avec des études, des chroniques de Houellebecq lui-même ; d'autre part, de « remonter à la source » en évoquant « Michel avant Houellebecq », c'est-à-dire l'enfant puis le jeune homme nommé Michel Thomas (photos à l'appui). Enfin, elle nous invite à revendiquer l'éclatement, à en « assumer la contradiction », afin de nous livrer un « Houellebecq en mosaïque ». Ce qui tout de même est le principe, voire l'esprit de l'Herne, voué à une approche plurielle. Parmi les témoignages marquants, on relèvera celui de l'artiste peintre Pierre Lamalattie, qui a connu l'auteur des Particules au milieu des années 1970, alors qu'ils étaient étudiants à l'Agro, ainsi que celui, plus tardif, du romancier et critique de rock Michka Assayas, qui lâche avant le point final : « Je pense que d'une certaine manière, Michel a absorbé l'époque ; la question est de savoir si l'époque ne l'a pas finalement absorbé à son tour. »
Au chapitre des textes épars de Houellebecq ici recueillis figurent sa préface particulièrement bien inspirée à une anthologie poétique de Remy de Gourmont, en 1991 (L'odeur des jacynthes), ainsi qu'une chronique politique parue en novembre 2003 dans Le Figaro, « Le conservatisme, source de progrès ». Du côté des purs inédits, on soulignera la découverte de fragments de son Journal (le tient-il régulièrement ? par intermittence ? n'est-ce là qu'une tentative diariste sans suite ? ce n'est pas précisé), durant l'année 2005. On y relève ceci, d'une belle lucidité, alors qu'il se penche sur lui-même : « Mon incroyable, mon anormale sensibilité ; mon émotivité incontrôlable ; ma pathétique vulnérabilité, dans le domaine sentimental en particulier. » 2005, qui fut également l'année de « La Possibilité d'une île », où Houellebecq, pourtant ardemment défendu par François Nourissier dans Le Figaro Magazine, échouera au Goncourt.
Pour en revenir aux inédits, il y en a quelques-uns dont on aurait pu se passer, comme cette correspondance choisie avec son éditrice, Teresa Cremisi, entre 2009 et janvier 2016. La banalité y côtoie essentiellement l'insignifiant. On aurait aimé en savoir davantage, notamment sur le « laboratoire central » de l'écriture. On retiendra tout de même cette très poétique injonction : « Prévenez-moi quand on en sera à 500 000 », en date du 13 mars 2015. À n'en pas douter, ce sont les regards venus de l'étranger qui sont les plus pertinents, parce que les plus critiques, plus objectifs. Ainsi, celui de l'Américain Sam Lipsyte, en 2003. Et c'est avec plaisir que l'on relira la brillante chronique de Julian Barnes, « Michel Houellebecq et le péché de désespoir », recueillie dans Par la fenêtre, initialement parue dans le New Yorker en 2003.
Certains lecteurs pourront à bon droit se lasser du concert de louanges adressées par les contemporains de Houellebecq, à savoir Aurélien Bellanger, Yasmina Reza, Jacques Henric, Emmanuel Carrère, en plus intelligent et qui nous lâche cet aveu : « Plus le temps passe, plus l'admiration médusée que j'ai pour lui se colore d'affection. » Il y a aussi quelques absents de marque, notamment la série Un été avec Michel Houellebecq parue en huit volets dans Le Figaro Magazine pendant l'été 2016, contre-feu à l'enquête sans complaisance d'Ariane Chemin parue dans Le Monde au même moment, et non autorisée par l'auteur de La Carte et le Territoire. Et c'est ainsi que Michel est grand.
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